Chutes aux départs : les élites féminines méritent mieux

Les chutes au départ des courses sont de plus en plus fréquentes. Si ces chutes s'expliquent par de nombreux facteurs (inattention, glissade, bousculade), certaines d'entre elles touchent particulièrement les athlètes élites féminines. Pourquoi ce problème persiste-t-il et quelles solutions pour sécuriser la ligne de départ ? Analyse et pistes de réflexion dans cet article.

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On Your Marks

3/17/20257 min read

Chutes aux départs : les élites féminines méritent mieux

Ce week-end, lors du très réputé 10 km de Lille, une chute au départ a suscité de vives réactions. Emma Lombardi, triathlète olympienne, a été violemment piétinée après être tombée, tandis que la vague de coureurs continuait sa course sans lever le petit doigt. Dans une série de stories publiées sur Instagram, elle a partagé son expérience, exprimant à la fois sa peur et son incompréhension face au manque d'aide des autres participants. L'athlète a d'ailleurs tenu à remercier les quelques participants qui ont pris la peine de s'arrêter pour l'aider à se relever et la protéger du flots de coureurs encore dans le départ. (Article de "la voix du Nord sur son témoignage

Cet incident n'est malheureusement pas isolé. En 2023, une chute monumentale s’est produite sur le 10 km de Valence, en Espagne. Si les chutes au départ sont évidemment fréquentes sur les courses (Inattention, glissades, bousculades, et de nombreux autres facteurs peuvent en être à l’origine), et elles touchent notamment les femmes élites et dans ce cas précis cela pourrait sûrement être évitée. Nous allons voir pourquoi dans cet article.

10KM de Valencia 2023 : Une terrible chute se produit sur le départ.

Pourquoi les femmes élites doivent être devant ?

Nous avons eu l’occasion d’échanger sur les réseaux avec Sarah Madeleine (merci Sarah pour ton retour ✌️), qui nous a expliqué pourquoi les femmes devaient se mettre en première ligne. La raison est assez peu évidente : la quête des records nationaux et des différents minimas se fait avec le temps OFFICIEL (lancé à partir du coup de pistolet) et non du temps RÉEL (le temps de votre puce), comme c’est le cas pour votre record personnel. Les femmes qui courent après ces marques sont donc obligées d’être en première ligne pour éviter de perdre de précieuses secondes avant de passer sous l’arche de départ.

Pourquoi cette règle ? Dans un article passionnant d’AthleMagazine, Kévin Legrand (alors président de la commission sportive d'organisation de la FFA) explique que cette règle est “sans doute un héritage de l’époque où il n’y avait que celui-là de disponible”. Il ajoute également : “Mais la question pourrait tout à fait se poser de tout passer en temps réel : maintenant que la technique est devenue extrêmement fiable, c’est une harmonisation à laquelle on pourrait réfléchir.”

C’est d’ailleurs à cause de cette règle que Sarah Madeleine a “seulement” égalé le record de France du 10 km à Nice. Elle était en effet convaincue que c’était bien le temps réel qui comptait pour le record, et s’est donc placée en fin de sas élite pour éviter tout risque de chute dû au différentiel de vitesse.

Un différentiel de vitesse risqué

Ce qui provoque la chute, la plupart du temps, c’est surtout le différentiel de vitesse énorme qu’il y a entre un homme élite et une femme élite. Rendez-vous compte, sur la ligne de départ, des femmes qui vont partir sur des bases de 31 minutes se retrouvent devant des hommes qui peuvent être amenés à courir sous les 28 minutes, soit 3 minutes de différence. Dès le départ, elles sont donc rapidement rattrapées et dépassées par une masse de coureurs masculins, créant un différentiel de vitesse dangereux et propice aux accidents.

Emma Lombardi, par exemple, partait en troisième ligne, au cœur du peloton de tête. Si l’on prend le podium féminin (Anley Asmarech, Hambese Gela et Yasemin Can), elles ont respectivement terminé aux 104ème, 138ème et 140ème places, ce qui signifie que des dizaines d’hommes leur ont littéralement « foncé dessus » pour atteindre leur propre allure sur 10 km. C’est ce différentiel de vitesse, exacerbé par la différence de gabarit, qui peut provoquer la plupart des chutes.

Plus la distance est courte plus ce phénomène est réel. Sur marathon, les allures sont relativement plus faibles, et ils se trouvent que les femmes arrivent à maintenir des allures plus proches des hommes que sur des distances plus courtes. Ce sont sur les courses comme le 5km et le 10km que le risque est le plus élevé. 

Un problème de sécurité pour tous

Ce problème n'affecte pas seulement les femmes élites. Les chutes mettent en danger l’ensemble des participants, hommes et femmes, et ralentissent même les coureurs qui cherchent à améliorer leur performance. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander aux organisateurs d'agir.

Les départs massifs, les sas trop serrés et la densité élevée des coureurs sont des facteurs de risque majeurs dans ces situations. Les chutes ne sont pas simplement une question de sexe ou de position dans le peloton, elles sont le résultat d’un manque de préparation et d'une organisation parfois insuffisante.

Quelles solutions possibles de ce cas bien précis ?

  • Un couloir réservé aux femmes élites pour éviter les contacts avec la vague masculine. Par exemple, réserver quelques mètres de couloir sur un côté du départ pour les femmes.

  • Aligner les femmes élites avec des hommes de niveau équivalent, et non en première ligne, pour limiter le différentiel de vitesse. Évidemment, cela réduirait leur visibilité médiatique, mais minimiserait le risque de chute.

  • Faire partir les femmes élites quelques minutes avant, comme cela se pratique sur certains marathons, afin de leur offrir un champ libre et permettre au peloton de s’étirer.

  • Repenser l’organisation des départs massifs en réduisant la densité des coureurs dans les sas et en étendant le temps entre les vagues de départ, afin d'éviter les situations de congestion.

Il est évident qu'il y a des progrès à faire en termes d’organisation, mais n’en profitons pas pour nous dédouaner de notre responsabilité individuelle. Changer l’organisation du départ des coureuses élites n’est pas une solution magique. Certes, cela évite de leur faire prendre des risques évitables, mais des chutes, il y en a pour pleins de raison différentes, dont une grosse partie due au comportement et à l’attitude des participants.

Une question de respect et de responsabilité

Au-delà des solutions "techniques", il y a une question de mentalité. Oui, le jour de la course, nous sommes là pour performer. Oui, l'adrénaline pousse à vouloir gagner quelques secondes. Mais avant tout, nous sommes des êtres humains et nous partageons la même passion. Il est essentiel d’être attentif aux autres, de respecter l’espace de chacun et de prioriser la sécurité sur la performance.

Ce problème ne concerne pas seulement les élites. Sur les courses grand public, combien de fois avons-nous vu des départs chaotiques où chacun tente de se frayer un passage sans prêter attention aux autres ? Des coureurs qui bousculent, qui s’énervent, qui jouent des coudes pour passer devant ?

Lors du 5 km de la Kiprun Race (édition 2023), une coureuse et un coureur proches d’On Your Marks ont eu la chance de bénéficier du sas préférentiel. Leur expérience du départ a été très stressante : plusieurs coureurs du sas derrière – se prenant très au sérieux et de toute évidence se surestimant fortement – se donnaient pour consigne de foncer, de ne pas faire attention, de jouer des coudes, considérant le départ comme une « guerre ». Pourtant, juste devant eux, plusieurs élites féminines prenaient place, certaines demandant, par peur, à leurs pacers de se positionner derrière elles pour les « protéger » de la vague qui allait arriver.

Ce genre de comportement, on le constate tous les dimanches, sur toutes sortes de courses, à tous les niveaux. Et pourtant, qu’on joue la gagne ou non, on reste des amateurs. Rien ne justifie de mettre en danger les autres pour grappiller quelques secondes.

Courir, mais pas à n'importe quel prix

L’esprit de compétition doit-il primer sur le respect des autres ? Dans un sport où l’on prône le dépassement de soi et la solidarité, ne devrait-on pas aussi valoriser une attitude plus responsable sur la ligne de départ ?

Nous sommes les premiers à célébrer les records, les performances et la passion du chronomètre. Mais cela ne doit pas nous faire oublier une chose essentielle : une course ne se joue pas dans les premières secondes, mais elle peut basculer à cause d’un départ dangereux.

Sur les cross, la tension au départ est terrible. Le risque est encore plus grand à cause des pointes aiguisées sous les chaussures des participants.

Et vous, qu'en pensez-vous ?

Avez-vous déjà été témoin de ce type de situation en course ? Quelles solutions vous semblent les plus pertinentes pour prévenir ces accidents et assurer une meilleure sécurité pour toutes et tous ?