UTMB 2025 : Une édition qui marque un tournant dans le trail
UTMB 2025 : influenceurs, data et performances. Retour sur une édition charnière où le trail change d’échelle entre spectacle et innovation.
ARTICLE
On Your Marks
9/1/202511 min read


UTMB 2025 : une édition qui marque un profond tournant
Vous nous connaissez pour notre amour de l’athlétisme, du demi-fond, et de la course sur route. Soyons tout de suite honnêtes avec vous : nous ne sommes pas de grands traileurs. Mais pour des passionnés de sports d’endurance, il est toujours passionnant de se rendre à Chamonix fin août pour la course de quartier la plus populaire du monde : l’UTMB.
Bien plus à l’aise sur un tartan bien dur que sur des sentiers, il nous arrive de pratiquer cette discipline pour le plaisir, et nous suivons avec attention les résultats des événements de ce monde pourtant cousin du nôtre. Sport jeune, en pleine dynamique, ce sport en perpétuelle évolution est fascinant à regarder et à étudier, et l’UTMB est l’endroit parfait pour comprendre comment tourne le monde du trail.
On Your Marks a eu la chance de passer quelques jours à Chamonix pour assister à cette édition 2025 qui, selon nous, marque un profond tournant dans ce que sera ce sport pour les prochaines années. Voici notre retour de cette 22ème édition de la course de quartier la plus connue du monde.


L’UTMB : une légende née à Chamonix
Aujourd’hui l’UTMB est connu dans une bonne partie du monde, principalement dans les pays d’Europe et les pays “riches”. Connu pour être le sommet mondial de la discipline, il nous paraît important de redonner un peu de contexte sur l’histoire de cet événement, qui, bien que monument, n’a que 22 ans !
L’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) est né en 2003 à Chamonix, créé par Michel et Catherine Poletti pour remplacer une vieille course de relais autour du massif qui avait périclité après l’incendie du tunnel du Mont-Blanc en 1999.
Depuis ses débuts, l’UTMB est conçu comme une épreuve individuelle extrême, une boucle de plus de 170 km, traversant la France, l’Italie et la Suisse, avec un dénivelé positif avoisinant les 10 000 mètres. Dès 2003, plus de 700 coureurs se sont lancés — seuls 67 ont terminé.
Rapidement, la course est devenue une épreuve mythique. Plusieurs athlètes sont entrés au panthéon :
Lizzy Hawker, quintuple vainqueure (2005, 2008, 2010-2012)
Kílian Jornet, 4 victoires (2008, 2009, 2011, 2022) et record (19 h 49 min 30 s), figure emblématique du trail
François D’Haene, également quadruple vainqueur (2012, 2014, 2017, 2021)
Courtney Dauwalter, triple victorieuse (2019-2021), en quête d’un quatrième titre
La course est désormais considérée comme le sommet mondial du trail-running, la finale des UTMB World Series, un circuit mondial regroupant des dizaines de courses qualificatives, détenu par la marque IRONMAN.
Peu à peu depuis sa création “familiale” et minuscule en 2003, l’UTMB s’est étoffé et a connu une croissance extrêmement forte.
Initialement l’événement UTMB ne comportait qu’une seule course éponyme. Mais au fur et à mesure des années de nouvelles courses se sont rajoutées au menu :
2003 : L’UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc) 171 km et 10 000 m de dénivelé positif
2006 : La CCC (Courmayeur-Champex-Chamonix) 101 km et 6 100 m de dénivelé positif
2008 : La PTL (La Petite Trotte à Léon) 300 km et 28 000 m de dénivelé positif (par équipe de 2 ou 3 personnes)
2009 : La TDS (Sur les Traces des Ducs de Savoie) 121 km et 7 300 m de dénivelé positif
2014 : L’OCC (Orsières-Champex-Chamonix) 56 km et 3 500 m de dénivelé positif
2016 : La YCC (Youth Chamonix Courmayeur) 15 km et 1 000 m de dénivelé positif, challenge destiné aux jeunes de 14 à 22 ans
2018 : La MCC (De Martigny-Combe à Chamonix) 40 km et 2 300 m de dénivelé positif
2022 : L’ETC (Experience Trail Courmayeur) 15 km et 1 300 m de dénivelé positif


L’UTMB aujourd’hui : un phénomène, une marque internationale
L’UTMB a évolué d’un peloton local à un empire international. Depuis son association avec le groupe Ironman en 2021 (Ironman détient 45 % des parts, la famille Poletti les 55 %), l’UTMB Group a multiplié les franchises : en 2025, 51 événements dans 28 pays sont programmés.
Cette expansion suscite parfois des critiques. Certains organisateurs locaux dénoncent une concurrence déloyale, des dossards hors de prix et une uniformisation du trail. Face à cela, le World Trail Majors a vu le jour, pour soutenir des courses indépendantes.
Sur le terrain, l’UTMB est devenu un véritable événement de masse : moins de 10 000 habitants à Chamonix, qui se transforment en plus de 75 000 pendant la semaine. Certains y voient une magnifique nouvelle pour un sport qui se démocratise, d’autres y voient la disparition de “l’esprit trail”, slogan scandé dans les années 2010 par les premiers pratiquants. À vous de vous faire votre propre opinion.
Là où la marque UTMB a été extrêmement efficace, c’est sur la professionnalisation du trail à vitesse grand V. Depuis 2022-2023, l’UTMB a accéléré sa professionnalisation : diffusion en direct, réseaux sociaux omniprésents, storytelling omnidirectionnel — l’assise est celle d’un événement sportif global, à l’échelle d’un grand tour cycliste. Tout est mis en place pour nous permettre de vivre à 100 % l’événement, et cela où que l’on se trouve dans le monde. Et il faut dire que la course est suivie, très suivie : des dizaines de milliers de personnes sur le live, des centaines de milliers de personnes souhaitant connaître les résultats / suivre la course.
Les marques spécialisées y ont bien évidemment vu une immense vitrine tournée vers le monde entier : la présence des marques est devenue incontournable. Adidas, Salomon, ASICS… Le village expo est une vitrine concurrentielle où chaque marque cherche le stand le plus impactant ; une véritable guerre d’activations marketing qui grossit d’année en année. Pour ces marques, l’UTMB est un peu le sommet mondial où elles peuvent montrer leur suprématie en présentant leurs produits, en mettant leurs athlètes sur les podiums, et en attirant le plus possible la lumière sur elles. Durant la semaine de l’UTMB une bataille sans merci se livre pour être LA MARQUE la plus influente, successful, cool. De nombreuses activations marketing en tout genre se déroulent : social run, défilé, jeux, soirées, dédicaces, concours, etc. Tout est fait pour créer de l’animation auprès du public présent à Chamonix.
Côté athlètes, la starification est réelle : Jornet, D’Haene ou Dauwalter sont des super-athlètes, des symboles de performance et d’endurance extrême. Ils font rêver les petits et les grands. C’est ça que l’on adore et qui est exceptionnel avec l’UTMB : c’est la capacité de cet événement à transformer chaque vainqueur en légende. Chaque champion a son athlète, sa légende, son style, sa gloire.
Remportez l’UTMB en étant un “inconnu”, vous deviendrez une star.
Échouez 4 fois, remportez-le la 5ème fois et vous deviendrez une méga star.
Remportez-le plusieurs fois et vous deviendrez une légende.
Aujourd’hui le monde professionnel du trail se porte à merveille : les contrats affluent, les montants explosent, le nombre d’athlètes professionnels est juste énorme.
On a souvent entendu des gens du milieu de la course à pied choqués, du moins surpris de voir que certains traileurs d’un niveau national gagnent beaucoup plus que des athlètes olympiques sur demi-fond. Mais pour nous cela s’explique par le fait que le trail a le vent en poupe, et que le côté “subjectif” d’une performance est bien plus vendeur qu’un chrono rigide et froid sur piste ou sur route. Remportez un ultra trail, peu importe le niveau “réel” de la course et des adversaires, vous pourrez créer votre légende. Remportez un marathon, mais en 2h20, vous ne serez jamais personne dans ce milieu.
L’UTMB a donc, en un temps record, réussi à s’octroyer le statut de sommet mondial du trail. Le Super Bowl de la montagne, le Tour de France du coureur, les Jeux olympiques du trail. Et pour y avoir passé plusieurs jours chacune des dernières années, c’est vraiment devenu un super événement, un vrai spectacle.










2025 : le tournant de l’influence
Chaque année tout grossit à l’UTMB : plus d’athlètes, plus de monde, plus d’audience, plus de budget. Chaque année on dit qu’un tournant est pris, qu’un seuil a été franchi. C’est en partie vrai, comme on l’a dit, chaque édition apporte quelque chose à la légende et à la popularisation de l’UTMB. Mais cette année a été pour nous particulière.
Pour la première fois un autre public a pris part à l’événement et a (presque ?) volé la vedette aux athlètes : les influenceurs et créateurs de contenus.
Clem Qui Court (373k abonnés), Claude Koh Lanta (558k abonnés), Joggeuse (173k abonnés), Miss France, ont été placés sous les projecteurs durant cette édition. Des marques comme Brooks, On, Hoka ont mis le paquet pour faire participer leurs influenceurs à l’événement, et avec un grand succès médiatique.
Ce qui nous frappe, c’est que c’est ça qui a changé pour nous : aujourd’hui, les stars de l’UTMB ne sont plus uniquement les athlètes élite. Ce sont aussi les influenceurs, les créateurs de contenu, ceux qui savent raconter leur aventure et la partager avec une communauté immense. Et ça, c’est assez nouveau dans ce sport.
En laissant traîner nos oreilles dans le village et le long du parcours, on a été surpris d’entendre certains spectateurs parler davantage de Clem Qui Court que de Tom Evans ou de Jim Walmsley. Preuve qu’une partie du public, notamment les plus jeunes, s’identifie autant à ces figures populaires qu’aux champions historiques.
Jim Walmsley et @Joggeuse - cette photo montre parfaitement cette idée de deux mondes qui se sont rencontrés, entrechoqués, challengés cette année: la performance et l'influence. (crédits photo Runix)
Loin de nous l’idée de “juger” ce tournant. On trouve même ça plutôt cool que ces nouveaux acteurs fassent leur entrée dans le monde du trail. Ils permettent de montrer qu’au-delà de la performance brute, l’UTMB est aussi une histoire d’expérience, de plaisir et de partage. Et surtout, ils rendent ce sport plus accessible : pour des milliers de jeunes, voir un influenceur qu’ils suivent au quotidien se lancer dans une telle aventure envoie un message puissant — faire du sport, c’est cool, et c’est possible pour tout le monde.
Même si, d’un côté, on peut également entendre l’agacement de certains participants/spectateurs de la première heure, qui étaient très attachés au trail pour sa connexion à la nature, sa profondeur émotionnelle, sa simplicité, et qui ont le sentiment que cette course se transforme en “foire du like”. Cet agacement est compréhensible : le trail s’est longtemps défini comme un espace à part, loin du bruit médiatique, centré sur l’effort, la montagne et une certaine humilité. Forcément, voir débarquer les caméras, les stories, les partenariats et la mise en avant de personnalités qui n’ont pas le palmarès des élites peut sembler en décalage.
Mais qu’on le veuille ou non, ce mélange fait désormais partie de l’ADN de l’UTMB. Et peut-être que c’est justement cette rencontre entre deux mondes — celui des légendes sportives et celui des créateurs de contenu — qui fait entrer l’événement dans une nouvelle ère. Une ère où l’UTMB ne se vit plus seulement par la performance des meilleurs, mais aussi à travers les récits multiples de celles et ceux qui le partagent avec leurs communautés.
En clair : à Chamonix en 2025, on ne vient plus seulement admirer des champions. On vient aussi vibrer avec ceux qui nous inspirent au quotidien sur nos écrans. Et ça, qu’on l’applaudisse ou qu’on le regrette, c’est un changement profond.




Un tournant pour la performance : 2 victoires pas si anodines que ça
Une autre chose qui a marqué un tournant (toujours selon nous ahah) est la victoire de Tom Evans et de Ruth Croft sur l’UTMB.
Pourquoi ? Parce qu’ils ont une chose en commun : ils sont tous les deux accompagnés par Joseph Mestrallet, le fondateur d’Enduraw.
Joseph, à qui l’on a déjà consacré deux épisodes d’On Your Marks — et dont le dernier vous a carrément plu — est data scientist, spécialisé dans l’élaboration de stratégies de pacing pour le trail.
Pour la faire courte : il crée des jumeaux numériques de ses athlètes, en utilisant des modèles hyper aboutis, nourris par les données physiologiques des coureurs. Grâce à ces modèles mathématiques, à des quantités faramineuses de data, et à une excellente connaissance des acteurs de la performance, il arrive à recréer une copie numérique d’un athlète. Il fait ensuite “courir” ces jumeaux sur le profil de l’UTMB pour déterminer quelle stratégie de pacing et de nutrition permet à l’athlète d’être le plus performant.
Par exemple, il peut tester des dizaines de variations d’allure par portions et voir laquelle fait franchir la ligne en premier. Joseph adapte ensuite cette stratégie avec l’athlète, qui suit kilomètre par kilomètre les consignes d’allure issues de la data et du modèle d’Enduraw.
Évidemment, c’est beaucoup plus complexe que ça, et c’est pour ça qu’on a donné notre micro à Joseph pendant plus d’une heure pour qu’il nous explique tout ça en détail. Vous pouvez retrouver cet épisode gratuitement juste ici (CLIQUEZ ICI)
C’est donc avec le soutien de Joseph que Ruth et Tom ont remporté la 22e édition de l’UTMB. Au moment où nous avons eu connaissance des résultats, nous nous sommes tout de suite demandé si Joseph n’avait pas “craqué” un truc. Trouvé une recette miracle pour gagner. Et donc si un tournant n’avait pas été pris dans la quête de performance. Est-ce que 2025 marquera l’année où la DATA prendra le dessus sur la sensation dans l’ultra-trail ?
Joseph a énormément fait parler de lui avant l’UTMB, mais aussi dans les heures qui ont suivi la victoire de Ruth et Tom. On peut très bien imaginer que, dans les années à venir, chaque team professionnelle s’empare de ce genre de méthode basée sur la data pour tenter de rafler les podiums. Comme souvent dans le sport, quand une nouvelle stratégie ou technologie est utilisée par un pionnier, c’est tout le peloton qui l’adopte l’année suivante.
Nous avons vraiment hâte de voir ce qui se passera l’an prochain, et quel spectacle nous réservent les athlètes sur cette course qui nous fait rêver depuis l’adolescence.




Conclusion
En quittant Chamonix cette année, on a eu le sentiment d’avoir assisté à une bascule.
L’UTMB n’est plus seulement une course mythique dans les Alpes. C’est devenu un véritable laboratoire où se rencontrent la tradition et l’innovation, les élites et les influenceurs, la nature brute et la data.
2025 restera, à nos yeux, comme une édition charnière : celle où le trail a définitivement changé d’échelle. Entre les performances rendues possibles par la science, l’explosion médiatique orchestrée par les marques et l’arrivée en force des créateurs de contenu, l’UTMB s’impose désormais comme un événement unique au monde, à mi-chemin entre le Tour de France et un festival de cultures sportives.
Et si certains regrettent la simplicité des débuts, d’autres s’enthousiasment pour cette ouverture. Finalement, c’est peut-être ça, l’esprit du trail : avancer, s’adapter, et partager la route avec ceux qui la foulent, qu’ils soient champions, passionnés ou simples curieux.

